À la suite d’un échange tendu, j’ai senti remonter en moi une vieille lutte, entre le besoin d’affirmation et le réflexe de me diminuer. Ce texte est juste un cheminement, une analyse honnête de ce fragile équilibre que beaucoup, je crois, connaissent sans toutefois l’exprimer clairement.
Car entre la voix qui s’impose et celle qui s’efface, il y a souvent cette tension intérieure, qui se déroule comme une danse hésitante aux pas mal accordés. L’ego et l’estime de soi se croisent, se heurtent, se confrontent.

Et si l’équilibre, ce n’était ni briller à tout prix, ni disparaître en silence ? Mais quelque chose de plus doux. Un lieu intérieur où l’on cesse de se mesurer, où l’on se retrouve enfin — entier, apaisé.
Ce tiraillement qui me traverse, je l’ai vu aussi chez d’autres. Il y a des jours où je parle sans cesse, comme pour me convaincre que ma voix a un sens. Et d’autres où je n’ose même plus croiser un regard, de peur de gêner, ou pire, de blesser.
Un échange récent, en apparence anodin, a ravivé tout ça. J’en suis sortie avec un mélange de tristesse, de frustration et d’épuisement. Alors, j’ai voulu comprendre ce qui, en moi, à force de taire l’essentiel, souvent pour ne pas heurter, finit par s’effacer.
Dans ce théâtre intérieur, deux rôles reviennent sans cesse. Le premier, c’est l’ego : il aime briller sous les projecteurs, s’accrocher aux certitudes, avoir le dernier mot, tout maîtriser, tout contrôler — il juge, parle fort, prétend tout comprendre, alors qu’en réalité, il se protège derrière une carapace brillante, mais creuse.
Et puis il y a l’autre voix, plus discrète qui ne fait pas de bruit, mais pèse lourd. Celle qui doute de tout, même de mériter d’exister, qui hésite, murmure, s’excuse d’être là, s’efface pour ne pas déranger — mais tremble à l’idée de ne pas être entendue. Ce leitmotiv de fond, que je connais par cœur, a souvent freiné mes élans, et me devance pour me rabaisser, parfois même avant que quiconque n’en ait l’idée.
Longtemps, j’ai oscillé entre le besoin d’exister et la peur de déranger. À force de jouer ces rôles, j’ai perdu de vue mes aspirations profondes.
Avec le temps, j’ai compris qu’aucune de ces voix ne dit la vérité. L’ego comme le doute mentent tour à tour : l’un pour se croire infaillible, l’autre pour nous convaincre qu’on ne vaut rien.
Le vrai travail qui transforme en profondeur, se joue ailleurs, loin des discours et des démonstrations, et se glisse dans les gestes simples du quotidien, quand la peur est là, mais que j’avance quand même.
Dans ces instants où je respire pour ne pas céder à l’impulsion d’aboyer, ni répondre à l’attaque injustifiée par une morsure cinglante. Où je choisis le silence plutôt que l’imposition, le retrait plutôt que le combat. Et où je regarde mes failles sans détourner les yeux — tout en accueillant celles des autres.
C’est dans ces petits gestes anodins, presque invisibles, mais justes, que j’apprends chaque jour à reconnaître l’ego sans lui céder toute la place. Et à tendre la main à cette part d’ombre, encore incertaine, qui doute de sa propre valeur.

Il n’y a rien à gagner. Rien à prouver. Ce n’est ni un combat à mener, ni un sommet à atteindre. C’est un instrument à accorder, une partition à composer lentement, avec ce que je suis. Avec des faux pas, des silences lourds. Mais surtout, avec l’envie sincère de ne plus me fuir, ni me nier.

J’ai cru, à tort, que la valeur et la reconnaissance se lisaient dans les yeux des autres. Mais en réalité, je crois qu’elles se révèlent dans le silence des épreuves, dans la solitude des moments sombres, quand, au creux du doute, je choisis malgré tout de rester debout.
Le silence ne m’efface pas. Il me ramène à l’essentiel. La lumière, la vraie, ne fait pas de bruit. Elle ne brille pas pour être vue. Elle émane, simplement, de ce que l’on est.

Je ne prétends pas savoir. Je marche à l’aveugle, je tâtonne, en équilibre fragile, entre l’élan d’exister pleinement… et la peur d’en faire trop. Ou pas assez.
C’est une danse intime — non plus entre l’ombre et la lumière, mais entre l’ego et le doute de soi. Une tentative de se dépasser. Non pas pour briller, ni pour disparaître, mais pour avancer avec justesse, lucidité et douceur. Sans masque.
Au milieu des vacillements et des contradictions, quelque chose tient bon.
Une présence tranquille, fidèle à soi, reste là.

L’équilibre du funambule, c’est de progresser, en silence, sur ce fil tendu. Pas après pas, le regard non tourné vers les lumières de la scène et la reconnaissance extérieure, mais vers l’essentiel.
Chaque pas devient alors un jeu subtil, silencieux, entre retenue et abandon, vertige et confiance. Et dans cette traversée intime, quelque chose se révèle — une force discrète, loin du tumulte, née de la persévérance.
Et si le vrai courage, c’était simplement de continuer à marcher, même quand personne ne regarde — parce qu’au fond, ce n’est pas d’être vu qui compte, mais d’être en accord avec ce que l’on devient.
